Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/121

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Un soir, Georges Lorin me déclara qu’on s’ennuyait ferme vers l’Odéon, qu’il existait un omnibus unique au monde : Batignolles-Clichy-Odéon, indiquant par son intitulé même qu’un trait d’union existe entre ces localités éloignées ; que, d’autre part, c’était mercredi, et que le mercredi, Mme  Nina de Villard, aidée de sa très aimable mère, Mme  Gaillard, recevait des poètes, des peintres, des sculpteurs et des musiciens, sans compter les dilettanti uniquement préoccupés d’écouter des artistes en dégustant quelques bières ou plusieurs punchs.

C’était fête ce soir-là, grande fête, dans le petit hôtel de la rue des Moines qu’habitait Nina de Villard, Nina tout court, comme on l’appelait camaradement. C’était sa fête à elle ; une illumination, des lanternes vénitiennes, des feux de Bengale, des chansons, des poèmes, des musiques, une foule de poètes et d’artistes venus pour applaudir la comédie et saluer la belle Nina, qui, souriante, gracieuse, dans sa robe chair et sang, passait rayonnante, distribuant les poignées de main, de sa petite main si fine. La belle fête de Nina, celle dont plus tard, aux heures où son esprit s’était assombri, lorsqu’elle