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Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/129

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son entente admirable des choses artistiques et la façon tranquille, aisée et correcte dont elle savait faire sa phrase ; si, sur mes instances, elle se mettait au piano, c’était toujours la musicienne exquise — elle n’avait rien perdu de son talent ; ses petites mains étroites, fluettes, couraient alertes sur le clavier comme des oiseaux apprivoisés ; si, autour de la grande table, on s’asseyait pour faire des vers ou des bouts-rimés, l’improvisation de Nina était toujours la meilleure et la plus prompte. J’ai gardé celle qu’elle fit un soir. Elle était déjà bien malade et avait eu une crise violente dans la journée ; — pour la distraire, je la priai d’écrire quelques lignes — elle se pencha sur la table, prit un bout de papier et traça d’un trait les vers suivants :

Vénus aujourd’hui met un bas d’azur
Et chez Marcelin[1] conte des histoires ;
Elle garde au fond, dans le vert si pur
De ses grands yeux clairs sous leurs franges noires,
Le reflet du flot son pays natal.
Quand au boulevard on la voit qui passe,
Déesse fuyant de son piédestal
Et venant chez nous promener sa grâce,

  1. La Vie parisienne.