Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/152

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blics, restaurants nocturnes. Le porte-monnaie vide, l’estomac creux, le cœur sans amour ! Et parfois, au hasard de quelque gain inespéré qui permet de se rattraper un peu, les morceaux doubles et les baisers triplés ! La goinfrerie des naufragés du Vaisseau de Paris, semblable au radeau de la Méduse ; la gloutonnerie irrassasiée de Bédouins tombant, après de longs jours de jeûne et de soif, en quelque oasis riche de fruits que la faim rend extraordinairement savoureux. Puis les horreurs de la privation ! Les désespoirs solitaires ! Ceux que l’on cache aux passants et qui s’exhalent, la nuit, dans la mansarde, sous le regard des indifférentes étoiles qui tournent lentement au-dessus de la fenêtre à vasistas dont le manche de fer, perpétuellement tendu, — potence à domicile, — semble une invite à quelque définitive pendaison ; tandis qu’un maigre feu de coke, rougeoyant sur une grille minuscule, donne des idées de suicide au réchaud.

Tout cela, j’essayai de le mettre dans le bouquet vénéneux et violent des Fleurs du Bitume.

Le travail acharné me consolait de l’acharnement des huissiers. Et je jouis d’une paix rela-