Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/19

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rades, je me laissais aller à toute l’ironie que mon béotisme périgourdin dénué de tout respect attique pouvait déverser sur l’administration, lorsque l’un des commensaux, devenu depuis député, puis directeur général du ministère des Affaires étrangères, me dit :

— Vous êtes un rouage, un tout petit ressort, mais la machine est grande, superbe dans son ensemble.

Très bien, rouage devenu, je me résignai. Et pourtant ce n’était point pour cela que j’étais débarqué à Paris, mais afin de lancer sur le monde étonné des vers et des proses pareils à des bolides.

Seulement, craintif à l’excès, je n’osais m’adresser à personne, pas même à mes camarades, redoutant les railleries ; si bien qu’au bout d’un an, je me trouvais au même bureau, pointant les centimes, sans avoir fait aucun pas vers la gloire ni vers ceux qui en sont auréolés. Timide, effrayé même, je demeurais en face de mon drame et de ma comédie. Les hommes de lettres réapparaissaient, à distance, immenses comme des statues de vingt coudées posées férocement sur un piédestal de trois cents mètres. Je m’imaginais que l’orteil de M. Leconte de Lisle mesu-