Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/195

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Méduse qui fais fuir de mon cœur attristé
Le dragon de l’Ennui dont rien ne me délivre ;
Arme de patience avec qui j’ai lutté
Contre tous les dégoûts de vivre !

Je t’aime d’un amour fanatique et navrant ;
Car mes seuls vrais oublis sont nés dans les luxures,
Et j’ai dormi sur toi comme un soldat mourant
Qui ne compte plus ses blessures.

C’est pourquoi ma douleur t’a dressé des autels
Dans les temples déserts de mon âme embrunie ;
Et j’y viens adorer les charmes immortels
De ta consolante harmonie.

Et le poète belge Georges Rodenbach, dont un critique a dit qu’il était le Coppée de la Belgique, récitait quelques pièces de son premier volume : Les Tristesses[1].

Moi qui rêve toujours, moi qui n’ai jamais ri,
Je ne puis résister à l’amour qui m’obsède.
Il faut que j’ouvre enfin mon cœur et que je cède,
Et que j’offre aux baisers mon profil amaigri.

L’étude dont mon rêve idéal s’est nourri,
Dans le drame des jours, n’est qu’un triste intermède ;
C’est l’amour, l’amour seul qui sera le remède,
Car la vie est la tombe où l’amour a fleuri !…

Je vais donc me livrer à l’instinct qui l’emporte,
Et — dût mon cœur saigner ! — je vais ouvrir la porte,
Mais toi, femme inconnue et vague que j’attends,

  1. Tristesses, Lemerre, éditeur.