Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/219

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m’imaginais remplir une mission : faire pénétrer dans les cervelles des jeunes étudiants, destinés à devenir la haute bourgeoisie, des notions de poésie et d’art ; leur dévoiler des livres inconnus d’eux, par le traitement de la diction publique ; forcer les jeunes poètes à entrer en lice, pareils à des troubadours des anciens temps, pareils et dissemblables en ce que les troubadours venaient frapper aux portes seigneuriales des châteaux féodaux, et qu’aujourd’hui c’est en s’adressant, sinon au suffrage universel, du moins au suffrage restreint des capacitaires bourgeois, rois de l’époque, qu’on peut se faire connaître et apprécier.

Cet apostolat bizarre était complet : dénué de toute jalousie littéraire, de tout parti pris d’école, essayant de laisser la place ouverte à tous les poètes, aux romantiques, aux parnassiens, aux brutalistes, modernistes, symbolistes, voire aux chansonniers gaulois, aux satiristes, et jusqu’aux mauvais poètes désireux de se lancer ; tous avaient le droit à la rampe, et le public seul devenait leur juge. Point une coterie, cela, ni lancement personnel, mais une sorte de théâtre de la poésie ouvert à tous, et en même temps un champ d’études pour les élèves du