Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/26

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avec respect les vers d’Émile Blémont, j’ai compris que nous n’avions guère le même genre.

Dès lors, je retombai dans ma nuit obscure de travailleur acharné.

Le surnumérariat me rendait très pauvre, et dame ! il fallait une rude foi en l’avenir, pour passer des soirées sans feu à limer des vers, après avoir pointé tout le jour des registres interminables. C’est beau la jeunesse ! Et, par là-dessus, ne pas se rebuter, lorsque l’unique revue de poésie qui existât alors condamnait mon genre, par la bouche d’un de ces demi-dieux de la rime, que j’entrevoyais au café Voltaire, humant des demi-tasses, en jugeant les vivants et les morts avec une assurance terrible et péremptoire.

— Vous ne connaissiez personne ! et vous vouliez chanter ? Allons donc, malheureux Périgourdin, sachez que, dans les revues, il en est comme dans les banquets, où chacun chante la sienne au dessert, et où le passant inconnu qui viendrait faire le treizième serait mis à la porte. Il faut être invité, que diable !

Aussi, le dimanche, promenant ma lassitude de la semaine, j’errais seul, essayant de comprendre le grand et solitaire Paris.