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Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/74

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chapeaux sur la tête, des bagues, aux doigts, des bracelets au poignet — que dis-je ? des anneaux d’or fermés sur la cheville. Il était suivi d’une foule anonyme et vague, où l’on distinguait surtout les nègres d’Haïti — cortège bruyant — des nègues, pour lesquels les r n’existent pas plus que pour les antiques incoyables. Parmi ces hommes sombres, Ponchon rutilait, et Sapeck, l’illustre Sapeck demeurait blême ; Ponchon chantait le vin, et Sapeck dessinait, d’un crayon alerte, des caricatures. Ils étaient célèbres dans le quartier Latin, et leurs noms étaient fréquemment accolés l’un à l’autre.

Il y avait pourtant une grande différence entre ces deux figures. L’illustre Sapeck, grand, maigre, visage simiesque, se taillait un rôle inédit de fumiste, après Romieu et le cor Vivier. Il possédait une élégance de sportsman anglais, et portait des fleurs aux jeunes personnes qu’il honorait de ses faveurs. Lorsque le Sherry-Cobbler, présidé par Joséphine, se trouvait à court de consommations, et ne pouvait suffire à la soif des poètes et des gommeux, Sapeck se présentait, correctement vêtu, des roses à la boutonnière, puis, discrètement, s’évadait vers