Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/89

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faisait le trafic des petites Italiennes destinées à poser le nu dans les ateliers de l’École des Beaux-Arts et ailleurs. Cette Nini-Joanna, ayant posé pour le tableau de Cabanel qui se trouve au Luxembourg : Thamar et son frère Absalon, garda le surnom biblique de Thamar, ce qui ne l’empêchait point de servir, avec grâce, des bocks et des chartreuses dans une petite brasserie de la rue Racine. Cette brasserie était dirigée par une femme superbe appelée Malvina, et par un Polonais nommé Zukowski. Il y avait un rez-de-chaussée, où les passants se gavaient de bière et de nourriture ; mais existait aussi un entresol, en lequel un piano gémissait sous les doigts d’étudiants plus ou moins experts. Oh ! combien de fois Strauss, Métra et Fahrbach furent-ils écorchés vifs sur cette épinette ! Au-dessus de l’entresol, régnait un hôtel garni, parfois outrageusement garni. C’est là que se déroulèrent mes aventures avec Nini-Joanna-Thamar. Mais, cela étant de la vie privée, je passe rapidement. C’est rue Racine que je fis la connaissance du dessinateur Georges Lorin, un aquarelliste charmant, devenu depuis un séduisant poète, et de son inséparable, Maurice Rollinat.