Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/94

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Ne parle qu’à peine, et jamais à voix haute :
— Cet individu médite un mauvais coup ! —
Nous sommes bien seuls au bas de cette côte,
Bien seuls ! et minuit qui tinte au vieux coucou !

Oh ! ce que je rêve est horrible : — Mon hôte
Poursuit la servante avec un vieux licou…
J’accours ! mais je tombe un couteau dans le cou,
Éclaboussé par sa cervelle qui saute…
— Nous sommes bien seuls au bas de cette côte !

Le vers de onze syllabes employé là ne prend toute sa valeur que quand le poème est déclamé par Maurice Rollinat ; il fait passer à travers ce système claudicant l’intensité de la peur, de l’horrible peur dont le poète est saisi en ce pays berrichon si sauvage, mais qu’il adore parce que précisément il y éprouve le vertige de l’épouvante !

Vers minuit, Maurice Rollinat me dit : Secouons-nous un peu ! Nous sortîmes, et après quelques allées et venues sur le boulevard Saint-Michel, il me proposa d’improviser un souper frugal. On irait dans sa chambre, il avait tant de choses à me lire, à me réciter, et tant de mélodies bizarres à faire palpiter sur son piano. Achat de saucissons, de jambonneau, deux bouteilles de vin, du pain, et nous voilà partis vers