Aller au contenu

Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la rue Saint-Jacques. Rollinat habitait un petit logement au sixième.

Fini rapidement le souper improvisé ! Rollinat ouvrit son piano. Ce piano était un clavecin aux sons aigrelets, antiques ; sans doute, il gémissait d’être réveillé si tard, lui, instrument du dix-huitième siècle, par un artiste de la fin du dix-neuvième. Au lieu des menuets, pauvre épinette, au lieu des pas de Vestris, voici qu’il était forcé d’accompagner, sur une mélodie funèbre de Rollinat, le terrible sonnet qu’avec une ironie amère Baudelaire intitula : le Mort joyeux.

Dans une terre grasse et pleine d’escargots,
Je veux creuser moi-même une fosse profonde
Où je puisse à loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans l’oubli, comme un requin dans l’onde.

Je hais les testaments et je hais les tombeaux !
Plutôt que d’implorer une larme du monde,
Vivant, j’aimerais mieux inviter les corbeaux
À saigner tous les bouts de ma carcasse immonde !

Ô vers, noirs compagnons sans oreille et sans yeux,
Voici venir à vous un mort libre et joyeux,
Philosophe viveur, fils de la pourriture…

À travers ma ruine, allez donc sans remords,
Et dites-moi s’il est encor quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts.