Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/275

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voisine de hasard des attentions de femme et de mère.

« Vous allez loin ?

— À Rantzein.

— Moi, je descends à Fribourg, la station d’avant. Avez-vous besoin de prendre quelque chose ? Vous êtes tellement pâle et toute tremblante, vous devez être malade ?

— Non, non, merci, » répondit Michelle, que tout ce verbiage fatiguait, malgré l’évidente bonté de l’étrangère. Celle-ci continua :

« Prenez, je vous en prie, quelques gouttes de vin pour vous réchauffer ; tenez, dans la timbale à Georges. »

La brave créature sortait de son panier un flacon clissé de paille, une coupe d’argent finement ciselée, et versait deux doigts de liquide.

Michelle, émue, sans force de résistance, à jeun depuis le matin, but les quatre gorgées de vin doré.

« Merci, vous êtes bonne.

— Regardez la jolie timbale, Madame, continua la mère du bébé, croyant utile de distraire sa pauvre voisine que son fils avait fait pleurer ; c’est un cadeau du parrain du petit, un ami de mon mari, un bien excellent jeune homme, un missionnaire actuellement en Chine. Tenez, voilà que nous approchons ; n’est-ce pas Georges ? Depuis huit grands jours que nous n’avons vu papa ! Va-t-il manger son garçon de caresses ! Nous étions allés chez des parents à Heidelberg.

— Votre mari est Allemand ?

— Oh ! non, Madame, ni moi non plus ; je suis Alsacienne, lui est Français, officier ; nous sommes en garnison à Belfort, et il doit venir au-devant de nous jusqu’à Fribourg. Oh ! c’est un brave cœur, mon mari, et bon, et gai ; seulement, des fois quand nous montons nous promener à la citadelle et qu’il se plante devant le lion rouge qui regarde la frontière, il montre le poing à la Prusse. Ah ! ils lui en ont fait de la misère, là-bas, de l’autre côté du Rhin.