Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/349

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arme confiée à lui, portant un numéro d’ordre, comment ferait-il pour la présenter le lendemain à l’exercice. Comment expliquerait-il son absence. Il avait bien sûr emporté son fusil en partant. Alors ?… Était-il resté là-bas dans les vignes ou chez le pasteur ? Là ou là, ce n’était pas en France. C’était chez l’ennemi auquel on devait cacher le dernier perfectionnement.

Que faire ? Il sentait sa tête se perdre, une sueur froide mouillait ses tempes. Il arriva chancelant et s’abattit sous sa tente avec une peur folle de voir venir le jour. Toutes les idées les plus alarmantes passèrent par son cerveau : le Conseil de guerre, l’accusation d’avoir donné, vendu, livré une arme à l’ennemi, la dégradation, l’exécution !

… Et sa mère ? S’il fuyait, s’il désertait… toujours la honte. Et le colonel qui était son ami dévoué, quelle douleur n’éprouverait-il pas, mon Dieu ! Lui naturalisé, Français d’hier, on dirait que c’était une feinte pour mieux tromper.

Il se leva. François vint vers lui :

« L’as-tu trouvé ?

— Non. Je suis perdu.

— Si j’allais parler au colonel.

— Pourquoi ? Qu’y peut-il ? le fusil a un numéro. Je vais retourner partout où je suis allé, mais, hélas ! il est sans doute déjà ramassé, puis porté au camp allemand. »

Il repartit. Le jour commençait à poindre, un jour gris enveloppé de brumes où passaient des nuages cotonneux un peu rosés à l’Orient.