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Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/19

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amené René et elle avait tendu les bras, adopté le don inestimable de cet enfant qui n’avait pas coûté de souffrance à sa mère adoptive.

Marthe repassait encore les tranquilles années de sa vie parisienne. Raoul à l’école de guerre, puis nommé capitaine, aimé de ses soldats, estimé de ses chefs. Ils avaient vécu si paisibles avec une petite aisance modeste que leurs goûts simples trouvaient suffisante. René travaillait bien ; très près du lycée Carnot, il en suivait les cours, faisant chez lui les études, guidé par son oncle Pierre, qui l’emmenait tous les dimanches au patronage fondé par lui pour les jeunes apprentis.

C’était une bonne vie arrangée sans accrocs, sans événements, où chacun remplissait son devoir avec une gaieté sereine.

Et voilà que, maintenant, tout allait crouler. La famille était détruite, la rafale emportait le paisible bonheur.

Consolatrix afflictorum, psalmodiait le prêtre qui, maintenant, récitait les litanies de la Sainte Vierge.

Ora pro nobis, répondaient les assistants.

Et les alternatives de voix continuaient lentes en la grande nef sans échos.

Sans que Marthe y songeât, l’heure passait, Pierre n’arrivait pas, et le sacristain, secouant ses clés, arpentait l’église presque déserte : On ferme..»

V

LA CONFESSION

Le vicaire de Sainte-Geneviève avait, après le départ de sa sœur, fléchi un instant sous l’annonce du coup cruel qui venait de frapper sa sœur. Il avait dépensé devant Marthe toute sa vaillance ; à présent, un flot d’amertume montait de son cœur, et ses yeux, malgré lui, laissaient échapper de cuisantes larmes. Raoul Ravenel avait etc pour lui un excellent ami ; combien souvent ils avaient échangé ensemble des idées, accompli des travaux ! Très érudits tous les deux, très chercheurs, ils avaient passé de bons moments dans la bibliothèque, l’âme du soldat et l’âme du prêtre sont si près l’une de 1’autre ! Et maintenant, l’ami était parti. Ah ! il l’enviait d’avoir ainsi la meilleure part. Il aurait si bien offert sa vie pour garder à Marthe cet époux utile et bon, ce soutien naturel. Mais Dieu ne consulte pas ceux qui placent en lui leur confiance. Il arrange leur éternité d’après les mérites d’ici-bas. Raoul avait accompli sa tâche, son heure était venue, et si Marthe cueillait en ce déchirement la suprême épreuve, c’est qu’il la lui fallait souffrir pour gagner sa couronne. A quoi bon songer, à quoi bon pleurer, ces deux actes humains, éléments de plus de souffrance, ne devraient-ils pas être rejetés hors de la voie du vrai chrétien qui connaît où aboutit sa route ? Il sait que cette route est hérissée d’épines ; alors, pourquoi étendre les mains pour les y déchirer, au lieu de les joindre pour l’action de grâce au Dieu qui laisse un passage libre montant vers lui ! Raoul était un simple de cœur, il n’avait jamais connu de grosses difficultés, il avait vécu, comme le lis et l’oiseau, du jour donné, du chaud soleil, heureux de son modeste budget, heureux de son intérieur affectueux, reconnaissant de ce bonheur calme. Il avait dû mourir sans peur, se jeter aux bras du Père céleste qui n’abandonnerait pas ceux auxquels il ravissait leur appui terrestre. L’abbé regarda de nouveau le grand Christ d'ivoire, envoya toute sa foi dans une invocation, puis reporta les yeux sur la lettre tachée de rouge posée devant lui. Il la prit pieusement et en brisa le cachet.