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Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/20

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Ceci est ma confession. Je supplie le ministre du Seigneur qui la lira de commencer par les prières de l’absolution. Je serai tué déjà, mais le temps n’existe pas pour Dieu. Il lit mon intention. Que le sacrement de Pénitence me purifie donc et me rejoigne dans le passage que suivent les morts après la vie, pour aller à l’éternité.

Je me répens de mes horribles crimes, je m’offre en holocauste, mais je n’ai pas, hélas ! la contrition parfaite, c’est pourquoi j’implore d’un prêtre mon pardon. J’ai l’intuition d’être tué... J’ai tout fait pour éviter d’être appelé sous les drapeaux, j’ai réussi à être... embusqué près d’un an, on vient de me tirer de ma retraite pour m’envoyer au plus terrible des périls. Demain, à l’aube, nous chargerons, j’emploie ma dernière nuit à écrire. Je supplie, avec toute l’ardeur d’un mourant, le prêtre d’accomplir la tâche que je lui lègue, de m’éviter par sa vigilance la conclusion finale et atroce de mon crime. Avant un mois, il ne sera plus temps d’accomplir la réparation !

Je vais, en un rapide exposé, retracer l’emploi funeste que j’ai su faire des heures de l’existence donnée par Dieu pour le bien : J’ai trente ans, je m'appelle Louis Rheney de Valradour, je suis Belge, ma venue en ce monde fut cause du départ de ma mère pour le ciel. Mon père, par suite, me prit en haine comme si j’étais responsable de son malheur. Il ne voulait ni me voir ni s’occuper de moi. Une nourrice m’éleva dans notre vieux château de Valradour, au bord de la Semois, dans les Ardennes. Elle me laissait vagabonder où bon ma semblait, je courais à travers monts et plaines. Je n’apprenais pas grand’chose, sauf pourtant mon catéchisme, que le curé d’Orval, pris de pitié pour l’enfant abandonné que j’étais, m’enseigna avec bonté.

Aujourd’hui, je me rappelle tous les chapitres du cher petit livre, et c’est pourquoi je crie : « Absolvez-moi ! » car je n’ai pas la contrition parfaite.

Vers l’âge de dix ans, mon père se souvint de moi pour m’envoyer dans un lycée de Paris, où j’oubliai mon catéchisme, où j’appris à jouer au foot-ball et à comprendre la vie de plaisir. Je sortais chez un camarade dont la mère était danseuse à l’Opéra. J’y fis de superbes connaissances qui m’apprirent le désir des richesses acquises par n’importe quel moyen. Je ne fis jamais ma première Communion. Au lycée, nous étions libres de pratiquer ou non une religion quelconque, je ne m’attachai à aucune. Mon père, que je voyais à peine aux grandes vacances, afin de se débarrasser de moi m’envoyait voyager avec un professeur qui conduisait plusieurs élèves en tournée à l’étranger. Ce jeune professeur savait fort bien nous distraire. J’aimais la vie, nullement le travail, je voulais la fortune et les fêtes.

Un jour, mon père, dans une lettre laconique, m’apprit qu’il se remariait. Il avait fait la connaissance à Venise d’une jeune Sicilienne dont il s’était éperdument épris malgré son âge mûr, et l’épousa. Ils s’installèrent à Valradour. Mes classes étaient finies sans, bien entendu, l’ombre d’un succès, j’avais dix-huit ans ; mon père me laissa venir à la maison, où je connus ma ravissante belle-mère. Elle était jolie, bonne et pieuse. C’est elle qui avait décidé mon père à m’admettre au foyer familial, trouvant qu’il avait fort mal rempli ses devoirs à mon égard.

Au bout d’un an, j’eus un petit frère, mais mon père fut tué dans un accident de chemin de fer. Isabelle, ma belle-mère, et Pio, mon petit frère, me témoignaient une réelle affection. J’étais devenu chef de famille. Pio, qui marchait à peine, accourait à moi les bras tendus quand il m’apercevait ; il riait de joie quand je l’enlevais dans mes mains, très haut. J’aurais dû les aimer tous deux, mais mon ami de collège le plus intime — le fils de la danseuse — qui répondait au nom ronflant de Gaétan Fleur des Pois (sa mère s’appelait Flore Despois), me répétait sans cesse :

— Ton auteur est claqué deux ans trop tard ; sans ta marâtre et son gosse, tu serais l’héritier de la grosse galette. Et ce qu’on boufferait, mon vieux !

En attendant, je dévorai ma part d’héritage, pourtant superbe. J’eus une écurie do course, j'achetai un hôtel avenue des Champs-Elysées. Tout cela fut vendu