Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ayant rien à faire, tenait à sa place et obéissait à mes ordres sans essayer de deviner mes pensées...

Un obus vient de tomber à quelques mètres de moi... il n’éclate pas.

Vous qui lisez et qui êtes libre, partez. Dans vingt-cinq jours il ne sera plus temps, les trois mois de vivres seront écoulés, et la recluse n’aura plus rien à manger... L’enfant est mort depuis longtemps, jamais je ne perçus sa voix... Il aurait, maintenant, près de quinze ans.

Depuis treize ans, la malheureuse vit dans cet in pace ! Mon Dieu, pardonnez-moi ! Par pitié, prêtre du Seigneur, brûlez cette confession.

L. Rheney.

Le vicaire de Sainte-Geneviève relut deux fois la lettre du misérable. Il pâlissait, et ses lèvres tremblaient si fort qu’il dut céder un instant au trouble de son cœur. Il laissa tomber sa tête dans scs mains et sanglota comme un désespéré. Plus il se raisonnait, plus il voulait se reprendre, plus ses larmes coulaient.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! gémissait-il, mais c’est l’histoire de notre petit René ! Ce doit être lui l’enfant séquestré et jeté à l’eau... par quel hasard ? Comment est-il sorti de la cave ? Cela s’expliquera peut-être... Mais sa malheureuse mère agonise... Vingt-cinq jours ! Il date la lettre du 16 novembre. Nous voilà au 23. Une semaine d’écoulée ! Je dois partir au secours de cette femme... et je suis mobilisé ! Que devenir ? Cette lettre, secret de la confession, il me faut la détruire. Il me faut accomplir ce qui m’est demandé.

Il se leva, essuya ses yeux. Que dois-je faire ? Puis-je ainsi absoudre après la mort... et cet homme est-il mort ?... Il faut que je consulte mon curé... mais, et le temps ? Isabelle qui va mourir... Et le régiment que je dois rejoindre à Nancy !

Il froissait le papier, il finit par le jeter dans la cheminée. Ce geste le soulagea. C’était un commencement d’exécution de la mission imposée. Une grande flamme monta, éclairant toute la pièce, il vit les lignes atroces se tordre, noircir et rester étendues sur les bûches, il pouvait lire encore en mince filet rouge le mot : Absolvez ! D’un coup de pincette, il le brisa.

— Jo ne puis réciter la formule d’absolution ! Jusqu’où va le pouvoir du prêtre ? Il s’arrête, sans doute, au seuil de l’éternité ; ce que demande le coupable n’est pas possible. Et pourtant, il a voulu les secours de la religion... Il a eu l’intention qui compte devant Dieu. Et moi aussi mon intention est pure.

Il alla à la fenêtre de sa chambre, l’ouvrit, la nuit était profonde, mais une étoile, là-haut, brillait toute seule dans un ciel noir. C’était l’étoile du soir, la belle Vénus, si brillante dès le coucher du soleil. Il la regarda et, lentement, il eut un geste bénissant vers l’espace, tandis que ses lèvres murmuraient une ardente supplication au Dieu de bonté et de miséricorde, au Père qui ne veut pas qu’un seul de ses enfants soit perdu.

Il se retourna vers la chambre, si profondément ému, qu’il tressaillit de surprise en voyant entrer sa sœur, qu’il avait complètement oubliée à l’église, et qui venait, inquiète, voir ce que signifiait cette longue absence.

Elle le vit troublé, les yeux rougis, encore haletant de sa crise et elle se jeta dans ses bras :

— Ah ! comme tu l’aimais ! soupira-t-elle.