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En deux jours, avait-il accompli plus de douze kilomètres… ? La nuit l’entravait, pourquoi ne marcherai t-il pas la nuit ? S’il pouvait découvrir une route tracée…

Au milieu de ces réflexions il entendit un coup de sifflet assez lointain suivi d’un sourd roulement.

— Un train, se dit-il, voiià ce qu’il me faudrait, seulement ce doit être un train allemand… On ne m’y laissera pas entrer… à moins que je ne me dise Alsacien.

Il s’endormit au milieu de ces projets, la tête sur sa « musette » et ne fit qu’un somme jusqu’au matin.

Quand il s’éveilla, une éclatante blancheur s’étendait devant l’entrée du four, la neige voilait les tristes débris, tout était blanc et pur, l’air ne charriait plus les infectes odeurs… Il ne faisait pas encore jour, mais la montre de l’enfant, cadeau de l’oncle Pierre, avait un cadran lumineux, il put donc y lire : 6 heures.

— Marchons, se dit-il ; avant, déjeunons.

Ce n’était pas difficile, le couvert était mis, il n’avait qu’à avancer la main. Il commença par emplir d’une bonne provision de pain le sac de toile imperméable qu’il portait en bandoulière et qui lui avait servi d’oreiller. Puis il avala une bonne ration arrosée de neige. Le chien l’imitait.

Comme il était heureux d’avoir cette bête, il la caressait et pourtant il ne savait pas, nul ne saurait jamais le rôle entier de Mousson ! Lui seul eut pu le dire ! Mais il pensait que la main chérie de son père avait complaisamment erré sur le front du bon chien, et il l’embrassait.

Le seul reflet de la neige éclairait le fugitif. Comment trouverait-il sa route à travers l’uniforme tapis ? Heureusement le halo blanc qu’il avait aperçu la veille demeurait visible et il marquait un point de repère. La couche de neige était inégale, le vent en avait jeté des amas par endroits, l’aurore naissait sur la plaine ondulée à perte de vue.

Et au milieu de l’éclatante blancheur, les deux pauvres êtres falots, faisant tache, s’activaient pour avancer dans ce sol mou. Une rangée d’arbres semblait indiquer une route, le petit alla de ce côté, sa boussole l’empêchait de prendre sa direction à rebours. Malgré le froid, il avait très chaud tant sa marche était fatigante, et pourtant René avait un encouragement depuis qu’il possédait un compagnon. Celui-ci tournait souvent vers lui ses beaux yeux orangés, si tendres et si doux. Des fois, il flairait avec inquiétude ce sol qu’une bosse de neige marquait. Vers midi, après une épuisante étape, une chance encore s’offrît aux fugitifs sous la forme d’une automobile abandonnée, brisée sans doute. Ils y entrèrent tous les deux pour déjeuner. C’était une belle limousine, vêtue de somptueux drap gris à l’intérieur. Un porte-bouquet y était encore accroché, une glace dans une gaine de cuir, une pendulette cassée, et, chose fort appréciable, dont René s’empara, un fort couteau à manche de corne gisait entre les coussins. Les deux amis trouvèrent leur pain sec — si sec ! — excellent ; ils étaient à l’abri du vent glacé, et tout est tellement relatif, que le garçon se trouvait privilégié. Ce repos lui rendit sa vigueur, et il repartit sur le coup de 2 heures, estimant avoir accompli une dizaine de kilomètres au moins dans sa matinée. Un peu de soleil faisait briller la neige, une des craintes de l’enfant était de tomber dans quelque trou invisible, aussi suivait-il avec précaution la route jalonnée par les arbres.

Souvent il entendait le sifflet du chemin de fer, un roulement de wagon et des coups de marteau sur du fer. Point de bruit de bataille. Il devait avoir dépassé la zone de combat, être en plein pays envahi par l’ennemi. Il traversa un pont. Qu’était cette rivière ?