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René s’arrêta devant l'entrée. L’officier, enchanté, vint à lui :

— Merci, vous m’avez conduit comme un chauffeur consommé. Voici dix marks. Si vous voulez rester à mon service, je vous prends tout de suite.

— Je ne suis pas libre, répondit René gravement, avec la tentation de repousser l’argent.

Mais il songea :

— C’est autant de pris sur l’ennemi.

Et saluant légèrement, il reprit son chemin.

Décidément, pensait-il, je ne manquerai pas de situation... Garçon épicier, chauffeur ; comme tout cela serait amusant si c’était moins triste !

Au fond de son cœur, le petit Français était radieux et fier. Que de chemin accompli !

Le voilà presque au port.

Charleville est là devant lui de l’autre côté de la Meuse et après c’est la Semois, son but !

Ah ! si seulement il pouvait parvenir à faire passer une lettre à sa chère maman, la rassurer... Quel moyen employer ?

Il avait bien un ami en Hollande. De quelle manière s’y prendre pour rédiger une page qui ne compromettrait personne. Ensuite, comment mettre l’adresse ?

Madame Ravenel, chez Monsieur Van Vély.

Le Hollandais comprendra bien qu’il doit réexpédier le paquet en France. Mais les ennemis devineront aussi et la lettre ne parviendra jamais. Pourtant, ce lui était une telle souffrance de savoir le souci de sa mère, qu’il se décida à risquer une carte postale ainsi conçue :

Monsieur Van Vély, à Bois-le-Duc (Hollande).

Mon cher Ami,

Vous seriez bien bon de faire savoir à ma mère que j’ai fait excellent voyage et suis arrivé sans encombre.

RENÉ.

II n’osa pas tracer son nom de famille à consonances si française. Il écrivit au bureau de poste. Ensuite il marcha très vite dans la direction de Charleville. Il voulait y arriver avant la nuit, de manière à y coucher et à en repartir au point du jour.

Il avait juste cinq cents mètres à faire, il s’engagea sur le beau pont suspendu qui sépare — ou plutôt unit — Mézières et Charleville.

Il savait l’origine de la ville fondée en 1606 par Charles Gonzague de Mantoue et de Nevers, il se plaisait à imaginer ces héros d’un autre âge, ces guerriers armés de rapières, aux feutres empanachés, et il les comparait aux soldats gris à calotte ronde si déguenillés.

II marchait d’un pas élastique, conquérant, sur ce pont au-dessous duquel coulait l’eau calme et claire à présent.

Au milieu du pont il s’arrêta, regardant chacune à leur tour les deux villes à égale distance, il jouissait du paysage ; son âme très poétique, ses goûts d’artiste lui faisaient aimer passionnément les beaux site et il s’oubliait, un peu trop rêveur.

Il passait sur la chaussée des trains d’artillerie que la résistance du pont autorisait bien qu’il vibrât d’une rive à l’autre. L’enfant, intéressé, regardait,