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Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/47

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les lèvres entr’ouvertes, respirant à pleins poumons l’air pur et frais, saturé des rayons solaires dont l’action était vivifiante et tonique. Une surprise désagréable troubla sa songerie, une main s’était posée sur son épaule et une voix qu’il avait espéré ne plus jamais entendre disait :

— Hé ! le jeune chauffeur, je vous réquisitionne à nouveau.

René se retourna vivement, rouge de colère. Ce mouvement le mit en face de l’officier allemand qu’il venait de véhiculer.

Celui-ci était en compagnie d’un autre officier, et si le garçon eût été moins absorbé par sa contemplation, il aurait vu depuis longtemps ces deux hommes causer avec animation, gesticuler en montrant l’Est, et finalement il eût entendu son voyageur s’écrier :

— Mais, parbleu ! j’ai ce qu’il me faut, Forster. Vous voyez ce gamin occupé à se mirer dans l’eau en compagnie d’un horrible chien jaune les pattes dressées contre le parapet, c’est un conducteur de premier ordre, il nous mènera à Sedan avec maestria. Vous venez avec moi ?

L’autre s’était hâté d’accepter, et tous les deux, traversant le pont, avaient joint le jeune Français.

Mein Herr, je ne suis pas libre, riposta l’enfant en serrant malgré lui ses deux poings.

— Oh ! oh ! mon petit, service de la patrie. Cela prime tout engagement, allons, ouste ! et à l’auto !

René se retourna simplement vers Charleville et sans répondre continua son chemin.

L’Allemand, stupéfait qu’on osât lui résister, attrapa l’enfant par le bras et le força à marcher à côté de lui.

— Ah ! tu rouspètes, comme disent les Français, nous trouverons bien quelques moyens de te forcer à obéir.

L’autre officier examinait René avec persistance :

— Dites donc, Werner, il est aussi peu Allemand que possible, ce garçon, qui est-il donc ?

René, en entendant ces paroles, fut saisi d’une peur atroce. Allait-on le deviner ? Il essaya de se dominer. En somme, il était en avance ; il avait sur les quinze jours de répit accordés par son oncle dépensé seulement cinq jours.

— Combien ce voyage me prendra-t-il de temps ? interrogea-t-il.

— Je n’ai pas à te répondre, je te réquisitionne ; comprends-tu, espèce d’insolent ?

— Comment t’appelles-tu ? fit son compagnon.

Il en coûtait au jeune Français de se renier lui-même. Il sortit son sauf-conduit de sa poche et le présenta.

— Karl Hartmann ! Tu es le fils du gouverneur de Mézières ?

— Son neveu, dit l’enfant d’une voix assurée, mais avec un fort tremblement intérieur.

Von Forster se radoucit immédiatement :

— Un tel nom vous impose un devoir, mon enfant ; nous devons gagner Sedan pour les nécessités du service, nous n’avons sous la main aucun mécanicien. Vous êtes adroit, conduisez-nous, c’est pour la patrie !

Que faire ? Le pauvre René dut céder, la nage dans le cœur… C’est pour la patrie, lui disait-on, et ces mots le torturaient.

La patrie ? contre la sienne, alors !

Mais il n’était pas le plus fort, il fallait céder, dissimuler, arriver à remplir sa mission… Quelle fatalité, cette rencontre si près du port ! Il se répétait intérieurement sa devise, sûr de n’être pas abandonné.

Il marcha près des ennemis, toujours, suivi du fidèle Mousson. Il trem-