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songe qu’il n’y a pas seulement une semaine, je dînais tranquillement à cette heure rue Daubigny, près de maman et de l’oncle Pierre. J’arrangeais mon temps pour le congé de dimanche. Ce dimanche, demain, où donc irais-je à la Messe ?

— Attention, cria Werner par l’acoustique, voici le pont de la Semois, ralentissez, ensuite l’avenue du château ; la grille sera ouverte, éclairée de globes électriques, vous verrez de loin l’entrée, stoppez devant le poste de garde.

— J’arriverai, Dieu le veut ! clama le cœur vibrant du petit Français. Ah ! comme la destinée se sert des hommes sans leur assentiment. Mon Boche, dans le fond de la voiture, ne se doute pas du service qu’il me rend !

René voyait des lumières à travers les arbres. Deux énormes globes blancs jetaient de vives lueurs sur l’arrivée. Deux factionnaires montaient la garde, un faisceau de drapeaux ornait le fronton de la grille aux piques dorées, où se voyait encore le lion de Belgique, dressé, lampassé et griffé de gueule. L’officier du poste vint ouvrir la portière :

— Service du front ! dit Werner.

— Passez.

— Au port ! je suis au port ! se dit l’enfant radieux. En vérité, nulle aventure ne saurait être égale à la mienne. Me voilà, en toute liberté, moi Français, dans le calais de l’hydre allemand !

CHAPITRE XVII

WILHELM II

De violents coups de corne, impatients et volontaires, obligèrent le jeune chauffeur à se ranger, une auto splendide le dépassa en éclair. Il la suivit, stoppa derrière elle devant le large perron du château où une haie d’officiers au port d’arme s’était formée à l’arrêt de la brillante voiture. René regardait de tous ses yeux, un flot de clarté inondait le château et le parc a giorno. Son voyageur s’était précipité à terre pour se joindre à ses camarades. Alors, avec une extrême surprise, le petit Français vit sortir de cette voiture merveilleuse, péniblement appuyé sur une canne, un homme couvert d’un manteau de fourrure sans manches. Le cérémonial lui indiqua que c’était le kaiser ; mais, certes, il ne l’eût jamais deviné d’aptrès les portraits innombrables vus par lui. Celui qui montait le perron semblait infiniment las, il se voûtait même, il était petit, il toussait sourdement, le cou engoncé dans un cache-nez, les moustaches coupées.

— Ça, Guillaume ! se dit René. Ah ! bien, il n’est pas kolossal.

Werner lui cria :

— Hartmann, apportez ma serviette, suivez-moi.

Lui-même suivait le souverain.

Ravi d’une pareille commission, René saisit à deux mains le lourd portefeuille de maroquin. Il mourait d’envie d’en soustraire quelque chose, mais tant d’yeux pouvaient le voir, il n’osa. Il franchit, au milieu des aides de camp, le large et haut vestibule du château, ex-propriété du comte de Lannoy.

Tout y était superbe, des trophées de chasse, des tentures murales à personnages ; à droite et à gauche, de grands salons illuminés. Dans l’un, était dressé un couvert d’une suprême élégance ; dans l’autre, le vautour de Germanie venait d’entrer. C’était un spacieux et confortable cabinet de travail.

Wilhelm s’était laissé tomber dans un grand fauteuil de bois doré, sculpté