Aller au contenu

Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous sommes surveillés de près. A tout instant, il peut entrer un Allemand. Notre maison, tolérée ouverte, peut être fermée si on nous soupçonne amis des alliés.

— Écoutez, fit à voix basse le voyageur étranger, j’étais consul de France à Liège. J’ai été pris comme otage, je me suis échappé avec ma femme à travers mille périls…

— Ah ! et nous aussi, affirma Mme de Valradour ; sans le courage de mon fils, nous nous serions perdus.

— Voilà trois fois que nous essayons de passer, expliqua le consul et nous sommes forcés de rétrograder. Toute la frontière est hérissée de fils de fer barbelés, les patrouilles circulent le long du barrage sans trêve. On tâche de passer derrière le dos des soldats.

— On m’a dit qu’il existait des entreprises d'évasion, murmura René. Ici peut être…

— Oui, ici, et on y est honnête. J’ai déjà eu affaire à plusieurs agences. On paye un tiers avant le départ et les deux tiers à l’arrivée, Répondit le consul.

— Et garantit-on le succès ?

— Nullement. Les entrepreneurs risquent leur vie. Ils ont des cachettes, des postes de ralliement ; le plus difficile est le passage du canal, sur une sorte de radeau qu’on tire de la rive opposée par une corde. Après, il n’y a plus qu’une demi-journée de marche pour être sauvé. Mais je préfère le système des braves gens chez qui nous sommes.

L’hôtesse, à ce moment, laissa choir une assiette, la porte venait de s'ouvrir, deux hommes en uniformes gris entraient.

Les quatre voyageurs comprirent que le silence était de rigueur, les nouveaux venus les regardaient avec malveillance. Ils se firent servir « ein gross glass béer », l’avalèrent sans le payer et se mirent à examiner le livre de police.

Mme de Valradour n’avait pas encore inscrit son nom, l’aubergiste s’adressa à elle :

~ Vous avez un sauf-conduit ?

—. C’est moi qui l’ai, se hâta de répondre René, ma mère est très souffrante.

La pâleur spectrale de Maria-Pia le prouvait assez…

Il se levait en prononçant ces mots et s’adressant au policier en sa langue, il lui montrait, d’un air aimable, le laissez-passer au nom de Karl Hartmann.

— Puisque j’ai la chance de vous rencontrer, mein Herr, fit-il, voudriez vous me dire si la tournée de mon oncle, le colonel Hartmann, gouverneur de Mézières, vous est annoncée. Je dois l’attendre ici, mais la route est si mauvaise qu’il aura, je le crains, beaucoup de retard.

Les deux Allemands portèrent la main à leur front, polis en face de ce neveu d’un personnage important.

— Non, répondit le gradé, nous ne sommes pas encore avisés, ce n’est guère étonnant, le télégraphe a été coupé à Zaventhem.

— J’ai quitté mon oncle au château des Amerois, où j’ai eu l’honneur de voir l’empereur, il est possible que Sa Majesté l’ait retenu, il m’a envoyé en avant. Sa tournée d’inspection ne peut s’accomplir à jour fixe.

— Nous serons prêts à le recevoir, Monsieur, merci de nous avoir prévenus.

— Je croyais que vous l’étiez déjà. En tous cas, cet hôtel est le meilleur du pays, j’y retiens ses appartements. Bonsoir, Messieurs.