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Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/84

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Très calme, René se rassit à sa place et se mit à manger paisiblement en ayant soin de parler allemand pour se faire servir.

Quand les deux policiers furent loin, le jeune garçon osa regarder sa mère qui sourit :

— Tu m’épouvantes !

— Nous arriverons, mère, la Providence l’a décidé, tu sais bien.

Le consul et sa femme ne savaient trop quelle contenance faire. Qui René avait-il joué ? L’enfant comprit leur pensée.

— Rassurez-vous. Sous l’apparence, il y a le fond. Grattez le nom de Karl Hartmann, vous trouverez René Ravenel.

— Non, dit tout bas la mère, tu t’appelles Pio Rheney de Valradour.

— Pour l’instant je suis une trinité… trois personnalités en une seule, Monsieur le consul, quand comptez-vous partir ?

— Au plus vite sûrement. Et vous ?

— Demain à la première heure. Inutile d’attendre mon oncle !… (il riait). Avez-vous un véhicule, Monsieur ?

— Aucun. Il serait imprudent d’en avoir. Pour n’être pas vu, il faut filer à pied. Et passer l’eau… Tous les ponts sont gardés.

— Quelle est la distance ?

— Douze à quinze kilomètres.

— C’est long, mais avec ma voiture à chiens…

— Vous ne passerez pas, interrompit l’hôtesse, qui se mêlait à la conversation, j’en ai bien vu des proscrits, tous ceux qui ont été pris ont été immédiatement fusillés. Non, il n’y a qu’un moyen.

— Lequel ? Dites-le-moi, Madame, fit Maria-Pia, nous serons heureux de reconnaître vos services.

La brave femme eut un geste d’indifférence. Elle alla mettre le verrou à la porte, éteignit la lampe et s’asseyant sur le banc, à côté de ses clients, elle parla presque bas.

— Voici : mon homme est chargeur aux mines de Laxen, à quatre kilomètres d’ici. Les wagonnets partent à vide d’Olburgen et en reviennent pleins do charbon, ils circulent en l’air suspendus aux fils de transmission.

— Ah ! j’y suis, s’écria René, la belle idée, on passe le canal dans le wagonnet, par la voie aérienne.

— Juste, mon petit, juste, il n’y a pas une seule autre manière. Les rives, les ponts, les bateaux, tout est gardé minutieusement et partout sont tendus plusieurs rangs de fils de fer barbelés.

— Alors, il faut avoir des intelligences avec les mineurs pour embarquer ? et débarquer des wagonnets.

— On en a. Pour le départ, il y a mon homme ; pour l’arrivée, mon frère qui est porion. Vous descendez au dépôt de charbon, où il attend pour charger, vous glissez tout doucement dans le tas de poussière noire, il n’y a que des Belges employés à ces puits, pas de danger qu’ils parlent. De là à la frontière, il reste deux heures de marche à travers une plaino d’ajoncs, vous passez la nuit naturellement, les douaniers hollandais sont bien disposés, ils savent fermer les yeux à propos.

— Tu vois, mère, dit René, toujours le fil conducteur. C’est comme si l’étoile des Mages marchait devant nous. Madame l’hôtesse, Dieu vous le rendra. En attendant, je vous laisse mes chiens de trait et ma voiture en souvenir de votre bonne action.

— Pourrons-nous partir tous les quatre ? fit le consul.

— Je l’espère, répondit la Flamande, mon petit gars vous préviendra à 4 heures du malin, les wagonnets sont lancés au jour. Il y a quatre