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Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/86

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offrit au mineur. Celui-ci les empocha lestement. Nul ne parlait. Une dizaine de wagonnets vides reliés par des chaînes étaient rangés sur une pente conduisant à la plate-forme haute, où on les accrochait à la voie aérienne..

Le porion enleva doucement la femme du consul et la posa dans la caisse noire du premier chariot. Dans le suivant, la mère et le fils prirent place. L’homme leur dit tout bas :

— Surtout ne parlez jamais pendant le voyage, qui sera de quatre heures environ ; ne levez pas la tête ni les bras. Il faut que ces chariots aient l’air vides. Ne craignez rien, s’il y a de petites secousses et des arrêts, à aucun prix ne bougez ni n’appelez.

Mousson voulut bondir à côté de son maître, mais d’un coup sec sur le nez, le mineur l’éloigna et se remit aussitôt à la manœuvre du treuil.

Le petit guide, pourvu d’une bonne rétribution, repartait avec l’attelage.

Rien ne saurait donner une idée du désespoir de Mousson en voyant ceux qu’il aimait s’élever en l’air, quitter la rampe et avancer, suspendus à une courroie dans le vide. Il faisait des bonds éperdus.

— Cette sale bête va nous dénoncer, songea le consul, qui envoya au chien une énorme pierre de charbon.

Le porion comprit, il attrapa le malheureux animal et l’enferma dans une cabane, toujours muselé.

René avait envie de pleurer ; couché dans le fond du wagonnet, la tête enfouie sur les genoux de sa mère, il regrettait son fidèle animal. Maria-Pia caressait doucement les joues chaudes de son enfant.

Le trajet était étrange, on avançait par glissement ; de légères secousses, des crissements du câble, le froid matinal piquant à cette hauteur, ne rendaient guère confortable ce voyage aérien. Une aurore terne blanchissait le ciel, la brise passait, entraînant les poussières noires arrêtées au bord des chariots. Quand il fit un peu jour, la mère et le fils eurent la pénible impression de s’apercevoir barbouillés de noir, vautrés dans La poudre de charbon. Au-dessous d’eux coulait l’eau claire dont une étroite fente de leur caisse roulante leur livrait la vue.

Ils allaient très lentement, n’osant bouger, car un mouvement aurait pu laisser dépasser leur tête au-dessus du bord et les faire découvrir par les ennemis aux aguets. Alors, ce serait la fusillade pour eux et la perte de leurs complices d’évasion. Ils s’ankylosaient courageusement…

— Maman, dit René, je pense tout de même que nous pouvons causer sans danger, as-tu faim ?

— Un peu, mon pauvre chéri ; j’aurais bien dû penser à prendre pour toi une provision.

— J’en ai une, mère, j’ai deux briquets dans le dos.

— Deux briquets dans le dos !

— Oui, tu sais, c’est le terme de mineurs, et puisque nous sommes dans une benne, soyons couleur locale.

— Elle est plutôt sombre… couleur charbon.

— Bah ! le ciel est bleu et l’aurore rose… or, le briquet est le morceau de pain fourré de lard emporté par le mineur dans son puits. Il le place sous sa veste, entre les deux épaules. En parlant, la bonne hôtesse m’en a coulé deux… et je les al là, avec une bien grande envie d’en dévorer un. Seulement, prends donc le tien, mes mains plutôt… grises n’osent te l’offrir.

— Tu es la prévoyance même, mon Pio ! Tu me rapprends mon rôle maternel.

Tout en parlant, elle avait tiré de la singulière réserve un paquet blanc, ficelé, duquel sortirent deux belles tranches de pain de seigle beurrées, qu’ils partagèrent en souriant.