Page:Gouraud d’Ablancourt - Le secret du forçat, 1924.djvu/13

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— Je ne voudrais pas de relations avec le voisinage...

— Pourquoi, maman ? il n’y a aucun mal à voir ses semblables, à visiter ses voisins. Depuis un an que nous habitons ici, tu n’as voulu connaître personne...

— Notre deuil, mon enfant, ne nous permet aucune réception.

— Il y a six ans, mère, que nous portons le deuil, je l’aurai certes au cœur tant que je vivrai, mais l’usage, et j’ajouterai ta santé, veulent moins de solitude, il ne faut pas t’absorber dans une pensée unique.

— Tu t’ennuies, ma chérie ?

— Non, je m’occupe, mais je voudrais quelquefois sortir rencontrer des amies.

— Tu iras chez ta tante Ismaèle passer le mois d’août.

— Toi aussi.

— Non. Tu iras seule. Ta tante voit une nombreuse société, moi je suis une vieille ourse.

La pauvre femme essayait de sourire, mais ses yeux refusaient de concorder avec son intention, et l’aspect de sa physionomie restait navrant.

Félia des Tournelles avait pourtant été la plus joyeuse des jeunes femmes ; pendant ses séjours en garnison avant 1914, elle était le boute-en-train du rayon, sa fille se rappelait les bals d’enfants, les garden-party de son enfance, elle se souvenait des chansons de sa mère, de la franche gaieté de son père, de leur intérieur heureux !

Hélas ! quel malheur plus grave avait donc emporté toute leur joie...


CHAPITRE IIÎ

Remy.

Le joli mois de mai parfume les jardins, c’est l’époque où la charité s’exerce ea ingénieuses entreprises pour amener l’eau au moulin. La marquise de Genscy s’occupait activement du soutien des écoles libres. Chaque année elle organisait une kermesse dans son parcj des jeux, un concert, une comédie. La société castégontérienne affluait à ces fêtes parce que la vieille douairière tenait le haut du pavé, représentait l’antique aristocralié, était en même temps bonne et indulgente, tout en gardant la fierté protectrice de sa race. Son intimité restait très fermée, son salon ne s’ouvrait que pour les anciens amis aux jours de réception, mais lorsqu’il s’agissait d’œuvres pies, on était certain de son aide bienveillante. Elle n’avait jamais quitte l’antique hôtel provincial où elle était née, où le marquis était mort, où elle se plaisait à recevoir ses enfants et petits-enfants. Pour le moment, elle jouissait de la présence de son préféré, Remy, un bravo sous-lieutenant de vingt-deux ans, qui arrivait de Syrie, atteint légèrement de paludisme et favorisé de ce fait d’un congé de quatre-vingt-dix jours. Le docteur lui ordonnait le bon air de l’Ouest de préférence au séjour de Paris, résidence de ses parents. Grand’mère et petit-fils faisaient un excellent ménage. Depuis quelques jours, le jeune homme avait admis un élément de pensée bien en accord avec son âge. Il recherchait toutes les occasions de rencontrer Yolande dont les beaux yeux bruns, les cheveux mordorés, les joues fraîches et l’allure souple lui plaisaient infiniment.

— Grand-mère, supplia-t-il un après-midi que tous les deux étaient venus cueillir des myosotis sur la rive au-dessous de la terrasse, pour mer l’autel du mois de Marie, vous devriez inviter Mlle des Tournellcs à tenir