Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/19

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— Dors bien, tu es chez toi.

Une fois seul Tancrède regarda les choses. Un somptueux mobilier d’érable gris, un lit-divan très bas, où des draps fins et brodés invitaient à goûter leur fraîcheur, un secrétaire offrait tout ce qu’il faut pour écrire, une étagère avec des livres dressés sur les rayons : romans, voyages, volumes à riche reliure. Un gros in-folio placé sur un chevalet à part, attira son attention ; soigneusement relié de cuir rouge, les coins d’argent, il montrait en lettres, également d’argent, son titre : La Retraite des dix Mille. Tancrède l’ouvrit. Des caractères grecs anciens, manuscrits en rouge et noir, couvraient un parchemin jauni par le temps. Les Consouloudi prétendaient compter Xénophon parmi leurs ancêtres.

Aux murs peints de couleur crème, quelques tableaux : Le Parthénon, le Wallhala. Lysistrata couronnée de Myrthes, la fontaine Clitumno où l’on se plongeait pour rajeunir aussi bien que dans le Léthé. L’antique Grèce, songea le jeune homme qui se mit à genoux aussitôt près de son lit, fit un grand signe de Croix et récita sa prière avec une ferveur rare chez lui depuis des années. Mais, en ce milieu païen, il lui semblait devoir affirmer sa foi chrétienne, sa reconnaissance pour le Christ divin et la Vierge Sainte, dont aucune image pieuse n’ornait ce luxe d’art. Ensuite, il se mit au lit. Les bruits de la grande ville venaient mourr à cette maison environnée de jardins. Comme chaque soir, selon une vieille habitude d’enfant, il murmura, la tête sur l’oreiller : Maman ! Maman chérie ! je t’aime !

Après sa journée mouvementée, il dormit sans éveil jusqu’à ce que des coups frappés à sa porte, lui fissent ouvrir les yeux, dissipant son rêve. Presque tout de suite Onda parut, il était en pyjama blanc, un domestique, portant un plateau, le suivait :

— Tu dormais encore, Vieux ! mais sais-tu, il est dix heures. Je viens déjeuner avec toi.

— Dix heures ! pas possible, et mon train ?

— Il roule vers la Bretagne, tu as le temps, crois-moi, laisse filer les jours de vacances, on est bien ici nous deux.

Il s’asseyait au bord du lit, le valet avait posé son plateau sur un guéridon, il ouvrait les lourds rideaux de damas de soie cramoisie et le soleil entrait à flots. Onda emplissait une tasse de chocolat, l’offrait à son ami avec des toast dorés chauds, bien beurrés, il se servait après et les deux collégiens causaient tout heureux, reposés, ravis d’être ensemble si tranquilles au milieu de ce confortable.

— Je voudrais que tu te plaises chez nous, fit le bon garçon. Je voudrais, que tu y reviennes souvent, ce sera dur de ne plus t’avoir tous les jours !