Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/49

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ches jaunes barriolées de grosses lettres noires annonçaient : Vente judiciaire, etc... Le cœur du pauvre enfant se serra. Il aimait ce séjour où ses vacances s’étaient souvent accomplies à l’époque heureuse de l’insouciance. Il lut la date de l’exécution. Le jour était passé. Il poussa la porte, jadis, en glissant la main entre deux barreaux, on tirait le verrou. Mais celui-ci résista.

— Pourvu que maman soit revenue !

Il regarda les fenêtres, elles étaient fermées. Il fit le tour de l’enclos ; du côté des remises aucune grille ne couronnait le mur. Il le franchit facilement, sauta dans le jardin. Il alla loqueter la porte de la cuisine, barrée aussi, la niche du chien était vide, le bon Luron... mort ?... vendu ?... Tancrède restait debout, les yeux embués de larmes, les mains jointes nerveusement. Quel retour mon Dieu ! Il revint devant la villa, monta le perron, tourna le bouton de l’entrée. A sa grande surprise, le battant s’ouvrit, une femme était sur le seuil :

— Maman !

Deux bras s’ouvraient, deux cœurs battirent l’un contre l’autre, deux sanglots jaillirent vite réprimés.

— Mon fils ! mon enfant, mon Tancrède !

— Maman chérie ! tu ne m’attendais pas ?

— Si, mais au train du soir. Tu es glacé. Elle l’entraînait dans le salon autrefois joli et gaî, aujourd’hui délâbré, les meubles disparus, sauf deux chaises, une table, un lit de sangle mis là, hors de propos.

— Tu vois, mon trésor, voilà où nous en sommes, tout est vendu, mais l’honneur est sauf, nous ne devons pas un centime à personne. Il nous reste ce que tu vois.

— Il me reste toi, mère ! Pourvu que tu ne souffres pas, on vivra nous deux.

— Oui, de ce que nous arriverons à gagner... car on m’a tout pris, les dettes accumulées, des billets signés par ton père venus à échéance avec les intérêts. Mais nous ne devons plus rien... seulement nous sommes sans pain. Je ne peux même pas t’offrir à déjeuner. Je me serais procuré quelque chose pour ce soir.

— J’ai encore des provisions de voyage, maman, nous allons les partager.

— Tu es grand, beau, mon Tancrède ! Tout n’est pas perdu avec toi, l’avenir te sourit. Dieu nous aidera, si tu savais comme je l’ai prié ! comme il faut le prier ! Qui t’a donné ces bonnes choses, pas le Proviseur ?

— Non, un ami, un cœur d’or. Je t’expliquerai. Mais depuis quand es-tu dans un pareil dénuement ?

— Un mois... la vente a eu lieu, il y a trois jours. Pour m’éviter la douleur d’y assister, Yanik, notre ancienne cuisinière, m’a emmenée passer ces trois jours chez elle.