Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/50

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C’est pourquoi j’avais demandé au Proviseur de te garder jusqu’à aujourd’hui. Je suis rentrée ici hier. J’ai mis dans une malle mes effets personnels. Tu verras là-haut, on a vidé les meubles et jeté tous les papiers à terre, les chers souvenirs sans valeur. Nous allons trier tout cela.

— Et après où logerons-nous ?

— Chez Yunik, la villa sera livrée demain au nouvel acquéreur.

— Que ferons-nous chez Yanik ? Elle ne peut nous hospitaliser pour rien. As-tu un peu d’argent, mère ?

— Si peu. Le prix de ma montre. Je suis allée jusqu’au bout afin, que ton pauvre père ne manque de rien jusqu’au dernier jour. Ensuite, mon pauvre chéri, j’ai été très malade et je serais morte sans le dévouement de cette excellente créature, qui a été pour moi bien plus qu’une parente.

— J’ai, moi, une petite ressource, environ deux cents francs.

— Ah ! quelle aubaine, par quel hasard ?

— La vente de mes livres. Je veux trouver tout de suite une place et te faire vivre, maman. A Saint-Malo on me prendra bien dans un bureau, un commerce, n’importe où, je n’ai peur de rien, j’ai la force, le courage.

— Je savais pouvoir compter sur toi, mon fils ! Seulement te voir renoncer à ta carrière faute de pouvoir payer tes études m’est tellement cruel !

— Ce que je sais reste acquis... ce que j’aurais appris de plus m’aurait peut-être moins rapporté que le métier manuel que je vais prendre. Tu sais mère, il n’y a rien de mieux aujourd’hui. La roue a tourné... Je peux être terrassier, cocher, facteur de gare ; je suis très solide, et ne pense pas que j’en éprouve la moindre honte. Le Divin Jésus était bien charpentier.

Elle se pencha sur le jeune visage qu’une rougeur avait envahi, y mit chaudement ses lèvres.

— Moi aussi, je veux travailler. Je serais capable d’être secrétaire ou lectrice... mais ce sont des places rares... j’ai connu ici une des acheteuses de nos meubles, elle va tenir « l’Hôstellerie de la Table Ronde » fondée sur notre côte pour rétablir le genre ancien, refaire la couleur locale, elle m’a proposé d’entrer chez elle pour la saison, afin de l’aider à recevoir les touristes, écrire la correspondance anglaise et française, bref remplir le rôle d’une maîtresse de maison vis-à-vis de ses invités. Je dis ce mot à dessein, car elle veut que sa maison ait l’allure des plus comme il faut.

— Et tu as accepté ?

— Oui. Je n’ai pas le choix, je serai là, payée, nourrie, logée. Comme tu le dis, il faut se mettre au-dessus des