Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/53

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La chambre haute avait une fenêtre sur la rue, elle était claire et propre, meublée d’un lit breton à portes glissantes, d’un bahut, d’une grosse table en merisier, d’un fauteuil en paille, d’un banc à dossier rangé contre le mur. Au-dessus de la cheminée un chromo représentait le combat des Trentes, que l’enseigne du cabaret reproduisait. Le matelot dit :

— Si que ça vous amuse, Monsieur Tancrède, je vas pêcher tous les jours, vous pourrez venir tendre le chalut.

— Oui j’irai, mon brave Marsoin, je vous aiderai.

— Descends Jean-Yves, criait d’en bas sa femme, faut du cidre bouché, viens servir, moi je vais monter.

— On y va, riposta l’homme docile en passant deux marches à la fois.

Yanik montait à son tour, elle tenait une couverture, des oreillers, des draps. Elle jeta le tout sur le banc.

— V’là pour toi, mon gars, avec un petit matelas de varech, tu seras comme dans ton berceau pour dormir. J’ai que cette chambre, dommage, mais on n’est pas logé comme des pinces.

— Comme de braves cœurs Yanik. Je vais défaire ma malle, je voudrais changer cet uniforme.

— Pourquoi ! Y te va si bien ! T’es comme le chasseur du grand hôtel qu’on dirait.

Tancrède sourit en retirant sa tunique. Yanik avait ouvert le bahut et y rangeait le linge.

— Je vais retourner à la ville fit le jeune homme, j’ai laissé maman rentrer, elle viendra seulement ici ce soir. Nous avons du travail là-bas.

— Revenez le plus vite possible, elle est bien fatiguée la chère dame. Ah ! elle en a mené une vie !… à gagner son Paradis tout droit. Un bonheur, tu sais, qu’elle s’a jeté dans la religion, c’est quasiment devenue une sainte.

— Depuis quand l’as-tu quittée ?

— Quand le pauvre papa a eu fini de souffrir. Quelle délivrance ! Elle m’a dit comme ça : « Marie-toi Yanik, depuis longtemps le brave Marsoin t’attend, tu peux m’abandonner à présent, je me servirai seule. » Alors j’ai épousé le matelot, on est heureux, on gagne sa vie.

— Quand je suis venu pour la sépulture de mon père, je ne suis resté que trois jours, maman ne m’a rien dit de ses soucis.

— À quoi que ç’aurait servi ? Elle ne voulait pas t’attrister, elle s’en faisait un chagrin de ne pas te voir plus souvent.

— Moi aussi. Je n’avais pas compris pourquoi elle avait voulu que j’aille passer les vacances en Angleterre dans une famille où j’étais au pair afin d’apprendre aux enfants le français.