Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/54

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— Pense donc. Elle vivait de rien, même le chien, pour pas le nourrir elle l’a donné. Fallait voir quand Luron est parti, traîné par une corde, y pleuraient tous les deux, elle et lui.

— Nous avions beaucoup d’amis, nul ne la consolait...

— Ah ! bien oui, des ingrats. Des amis ! oui quand on est riche. A preuve de ce que j’en dis, v’là une histoire : Ton père était encore de ce monde, il lui fallait des tas de remèdes et on devait gros au pharmacien. Un jour, Mme la Comtesse vient à la boutique pour avoir des cachets. M. Potard lui dit comme ça :

— Je ne peux pas fournir toujours à crédit Madame, payez-moi où je ne vous donnerai rien, je ne peux plus... j’ai mes échéances.

La pauv’e dame, elle sort toute humiliée. Que faire ? Si M. le Comte ne prenait pas ses cachets calmants, il ne cessait de gémir et ne dormait plus. Madame se dit que son amie Mme de Kervalec, lui prêterait bien un billet bleu et elle va la trouver à son hôtel que tu connais.

— Je me le rappelle, à la montée des remparts. Etant petit, j’ai souvent joué là avec Anne-Laure, sa petite-fille qui est de mon âge. Elle est toujours là, Anlor, comme on disait ?

— Toujours. Une jolie fille, bien douce, mais sa grand’mère n’a pas le cœur sur la main, tu vas voir. Mme la Comtesse lui demande un peu d’argent, elle rendrait au plus tôt. — Ma bonne amie, riposte la vieille, comme je suis désolée, mais avec cette loi sur les loyers, mes locataires ne me paient pas et je ne peux les congédier, sans cela, avec quel plaisir je vous aurais obligée. Ta maman est partie, désolée, mais bravement, d’un grand effort, elle a voulu tenter une petite chance chez les Locmaria, des gens qu’elle avait tant de fois reçus à sa table, pendant les années d’abondance. La dame a répondu à la timide requête : « Oui, certes, chère amie, ce serait avec grand piaisir, mais je pars en voyage et, vous savez, mon mari m’a donné bien juste. »

Découragée, Mme la Comtesse est revenue chez M. Potard, elle lui a dit :

— Tenez, gardez mon alliance jusqu’à ce que je vous paie, mais donnez-moi les cachets... je vous en prie ; Elle était à bout... le pharmacien céda, remit le remède et ne prit pas la bague.

— Quel calvaire ! murmura Tancrède, bouleversé. Sa mère, sa mère bien-aimée, respectée, adulée, recherchée au temps de la richesse !

— Au revoir, Yanik, à présent, je suis là et je te jure que je saurai faire fortune. Ah ! Seigneur, c’est le premier bien.