Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/57

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et tu auras encore de beaux jours mère chérie ! Laissons ce dépouillement qui nous décourage, je vais tout porter par brassées à l’autodafé.

— Si tu veux. Les livres de comptes étaient tellement mal tenus qu’ils ne pourraient nous renseigner en rien. Beaucoup de gens nous doivent de l’argent, mais rien n’est régulier, le notaire m’a dit que je ferais des frais inutiles. Oublions, viens, nous allons nous réchauffer au feu de nos richesses.

Ils descendirent dans la cour, une grande flamme monta , dans l’air calme, des lignes d’écriture, des noms se tordaient dans le brasier, il y avait là de terribles souvenirs qui bientôt seraient des cendres que le vent de mer disperserait. Le passé ne pouvait revivre, aujourd’hui, l’existence de la France évoluait, les idées et les situations aussi, on ne voyait plus le jour sous le même angle.

Après le brûlot, quand les papiers noircis furent envolés, ils eurent la même idée, fuir la maison si triste, aller ensemble, tous deux, s’asseoir sur la grève. Le temps était doux, ils se reposeraient l’âme, changeraient de pensée, bâtiraient de l’avenir, peut-être du bonheur... Cette plage superbe que borne d’un côté les rochers de Saint-Malo, l’île Harbour, de l’autre côté Rochebonne, avait été témoin de bien des heures de joie ! Les Tamaris étaient la propriété particulière de Mme de Luçon, mais bien entendu, elle avait donné sa signature pour les emprunts successifs de son mari et la ruine s’était aussi apesantie sur elle. Ils avaient devant eux l’horizon sans limites où déjà le soleil allait finir sa dernière journée derrière l’île de Cézembre.

— Suivre le soleil, dit Tancrède, aller, à sa suite voir l’autre face de la terre, connaître plus que cette parcelle de terre où nous sommes ! il y a peut-être des choses meilleures là-bas.

— Non, mon enfant, partout les hommes sont pareils qu’ils soient de couleurs et de goûts variés, ils ont les mêmes douleurs et les mêmes joies, non suscitées peut-être par les mêmes occasions, mais tous les cœurs humains sont faits pour souffrir souvent et sourire quelquefois. Le mieux, vois-tu, est de s’arranger pour vivre où Dieu nous a placés, je le crois possible. Depuis ma saison de misère, j’ai tellement réfléchi. J’ai compris à quel point j’avais mené une vie sans but, inutile.

— Pas inutile, mère, puisque toi et papa vous faisiez beaucoup de bien... en vous ruinant, mais en secourant les autres.

— Pas dans le sens où il l’aurait fallu. J’étais si peu sérieuse, nous étions, lui et moi, deux enfants grisés de