Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/56

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— Et papa n’est jamais rentré dans son argent ?

— Jamais, l’autre est parti aux Colonies, nous n’en avons jamais entendu parler. Envoyons la feuille au feu. Il ne faut pas laisser traîner cette signature.

— Tu es bonne, mère chérie, pourtant si ce débiteur a un fils, peut-être aurait-il à cœur d’acquitter la dette de son père.

— Oh ! c’est douteux.

— Père ne se rendait pas compte du gaspillage de sa fortune.

— Nullement. Il était grand seigneur jusqu’au bout des ongles. Un calcul l’eut déshonoré, il tenait table ouverte. A Luçon, nous avions sans cesse des parasites, des amis de passage qui restaient un mois, deux mois, qu’on ne revoyait plus et que d’autres remplaçaient. Voilà encore une lettre qui te renseignera, elle est signée : Marquis de Wellenmo : « Merci mon bon ami, de votre aimable invitation, nous l’acceptons avec plaisir, ma femme, mes fils et moi. J’amènerai le précepteur des garçons et la nourrice de bébé. Je ne voudrais laisser personne derrière moi. Je me réjouis de chasser dans les bois de Luçon, de voir votre meute d’Harriers courir le lièvre. Je vais prendre toutes mes disposions afin de rester longtemps. C’est une vraie fête pour nous tous.

Mes hommages aux pieds de la Comtesse de Luçon. Je vous serre cordialement la main.

W... ».

— Je comprends en effet, maman que revenu et capital fondissent comme neige au soleil. Dans ce fatras, il y a des douzaines de lettres analogues, on aimait à venir chez nous.

— Oui, le bien-être était absolu, le charme de ton père attirait, c’était à qui se ferait inviter, nous avions des séries.

— Et toi, Maman, cela t’amusait ?

— Hélas, oui. L’intendant s’occupait de tout, j’étais chez moi la première invitée. Je ne réfléchissais jamais. Ton père était parfait pour moi, il n’est devenu difficile qu’avec la ruine. Tu avais alors une dizaine d’années, aux premiers symptômes de la chute, c’est alors qu’on t’a envoyé au collège.

— Ah ! grand Dieu, ai-je pleuré quand il a fallu quitter la maison, mon poney, mon chien, accrocher ma carabine pour ne plus la dépendre. Tu m’embrassais maman, papa disait : « Sois homme, travaille, quand tu seras grand tu feras comme moi, tu t’amuseras, mais il faut apprendre quelque chose ». Alors maman, je suis grand, seulement je ne vais pas m’amuser, je regarde la vie par le côté de l’ombre... mais j’ai la foi, le chemin hérissé s’éclaircira