Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’hôtel, le cicerone des étrangers, je sais l’anglais depuis l’enfance. Maman demande pour moi une place, dès demain à.... ta patronne. Je ne veux pas rester un jour une charge pour toi ni pour la bonne Yanik.

— Je le ferai, mon fils. Ce que Dieu veut de nous, sera. N’est-ce pas la suprême consolation de se dire cela.

— Alors maman puisque nos décisions sont prises, raconte-moi notre histoire, le soleil est près d’entrer dans les vagues et nous avons promis d’être de retour à l’hôtel des Trente Chevaliers pour souper.

— Marchons, la fraîcheur tombe, la mer est basse, suivons la plage.

L’enfant passa son bras sous celui de sa mère, câlin et attentif :

— Je t’écoute, maman.

IX

LA GENÈSE DES FAMILLES

— Je vais être obligée de prendre l’une après l’autre, nos deux routes à ton père et à moi jusqu’au carrefour où elles se joignent.

— Va, maman, je te suivrai partout.

— Partons donc pour la Martinique où je passai mes premières années dans un bonheur parfait, comme les enfants aimés et bien portants. Mon père gouvernait la plantation. Une nuit, nous fûmes réveillés par de terribles secousses, toute la maison tremblait, ma mère me prit dans mon petit lit, m’emmena dans le jardin où s’ouvraient des crevasses, mon père essayait d’emporter des choses précieuses. La maison était de bois ainsi qu’il est d’usage dans les pays exposés aux catastrophes sismiques, le feu se mit au rang des désastres, les nègres affolés tentaient de sauver leurs cases.

Le lendemain, je me revois au port. Un navire nous embarque maman et moi, nous traversons l’Océan, je joue sur le pont, je reste heureuse. Nous voilà à Saint-Nazaire en France. Maman est brisée, une fièvre cérébrale la terrasse et me la ravit rapidement. Une tante de Lostange me recueille, me caresse, me dorlotte, est parfaite pour moi. Je n’ai que six ans, j’oublie les malheurs. Mon père ne donne plus signe de vie, resté à Saint-Pierre pour s’occuper de nos intérêts, j’appris plus tard qu’il était mort dans un éboulement occasionné par les suites du tremblement de terre. Ma tante ne s’en émeut pas. Elle a pour principe qu’une femme peut se tirer d’affaire en ce monde, sans « s’embarrasser » d’un homme, elle dit tendrement en me prenant sur ses genoux.