Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/60

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— Je ne me suis pas mariée, et j’ai la meilleure des joies que puisse avoir une femme : J’ai un enfant. C’était mon rêve, je le réalise sans avoir eu la peine de le former. Il faut te dire que ma tante Armelle de Lostange était des plus braves, la meilleure, la plus courageuse des Bretonnes. Seulement elle avait des idées particulières sur la vie, la destinée et le devoir. Elle était indépendante, résolue, audacieuse, très bonne, très belle, très robuste. Elle avait plutôt le caractère d’un homme que d’une femme. Elle redoutait tous les travaux féminins, ses doigts ignoraient le contact d’une aiguille, d’un crochet, en revanche, elle maniait le fusil, chassait, montait les chevaux les plus difficiles, conduisait un automobile. Elle pouvait émonder une souche avec une hache, conduire une charrue, une machine à battre. Elle avait voulu tout apprendre en fait d’occupations masculines et quand on lui avait parlé mariage elle avait ri et nettement refusé. Elle voyageait dans l’univers, elle connaissait l’Ile Luçon, notre antipode ; elle avait fréquenté les antropophages de la Nouvelle Zélande, elle avait traversé le Sahara en aéroplane, avait vécu sous la tente au sommet du mont Ararat et navigué sur l’Amazone et autres fleuves à bord de son yacht : « El Goelo ». Elle s’habillait à la mode anticipée d’aujourd’hui. Elle se vêtait d’une robe courte, toute droite sans ornements, sans boutons ni cordons, qui se passait par-dessus sa tête aux cheveux coupés. Elle ne différait de l’actualité que par ses chaussures à talons plats, larges et résistantes. Son chapeau de feutre mou était, dénué d’ornements, enfoncé jusqu’aux yeux. A cette époque un pareil costume semblait ridicule, mais les critiques passaient par-dessus la tête de ma tante, elle se moquait bien de l’opinion !

Elle était pour moi d’une tendresse sans égale, me comblait de tout le bien-être imaginable, m’emmenait avec elle dans ses expéditions, ce qui me permit d’apprendre la géographie et les langues étrangères sur place. J’avais une gouvernante de même envergure, c’était une Irlandaise catholique et naturellement, vieille fille. Au milieu de ces randonnées, de vie sans domicile fixe, toujours à l’hôtel, sous la tente, en bateau, en roulotte, je n’apprenais aucune des choses que doit savoir une femme. Je ne me rendais compte ni des recettes ni des dépenses d’un ménage, ni d’une tenue de maison. C’est pourquoi je menai si mal la mienne. Je ne me serais probablement jamais mariée, si ma chère bien-aimée tante n’avait été enlevée à ma tendresse par une insolation à Gibraltar. Je ne te décrirai pas mon chagrin, j’avais déjà plus de trente ans, je revins en France avec la gouvernante qui ne nous avait jamais quittées et possédait son avenir assuré par