Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/102

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bannière où leurs revendications de justice sociale se résumaient en ce cri : « A bas le ripolin ! » Il faut savoir que le ripolin est une peinture toute préparée que le premier venu peut étaler sur une boiserie ; on comprendra alors toute la sincérité de ce vœu et son ingénuité. Le ripolin représente ici l’injustice et l’oppression ; c’est l’ennemi, c’est le diable. Nous avons tous notre ripolin et nous en colorions à notre usage les idées abstraites qui, sans cela, ne nous seraient d’aucune utilité personnelle.

C’est sous un de ces bariolages que l’idée de liberté nous est présentée par les politiciens. Nous ne percevons plus guère, en entendant ce mot, que l’idée de liberté politique, et il semble que toutes les libertés dont puisse jouir un homme civilisé soient contenues dans cette expression ambiguë. Il en est d’ailleurs de l’idée pure de liberté comme de l’idée pure de justice ; elle ne peut nous servir à rien dans l’ordinaire de la vie. L’homme n’est pas libre, ni la nature, pas plus que ne sont justes ni l’homme ni la nature. Le raisonnement n’a aucune prise sur de telles idées ; les exprimer, c’est les affirmer, mais elles fausseraient nécessairement toutes les thèses où on voudrait les faire entrer. Réduite à son sens social, l’idée de liberté est encore mal dissociée ;