Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/108

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demeure inefficace, la page achevée, pour celui qui a lu comme celui qui a écrit ; et cela est fort heureux.

L’idée de beauté n’a jamais été dissociée que par les esthéticiens ; le commun des hommes s’en donne la définition de Stendhal. Autant dire que cette idée n’existe pas et qu’elle a été absolument dévorée par l’idée de bonheur, et du bonheur sexuel, du bonheur donné par une femme. C’est pour cela que le culte de la beauté est suspect aux moralistes qui ont analysé la valeur de certains mots abstraits. Ils traduisent cela par culte de la luxure, et ils auraient raison si ce dernier terme ne contenait une injure assez sotte pour une des tendances les plus naturelles à l’homme. Il est arrivé nécessairement qu’en s’opposant aux excessives apothéoses de la femme ils ont touché aux droits de l’art. L’art étant l’expression de la beauté et la beauté ne pouvant être comprise que sous les espèces matérielles de la véritable idée qu’elle contient, l’art est devenu presque uniquement féministe. La beauté, c’est la femme ; et aussi l’art c’est la femme. Mais ceci est moins absolu. La notion de l’art est même assez nette, pour les artistes et pour l’élite ; l’idée d’art est fort bien dégagée. Il y a un art pur qui se soucie uniquement de se réaliser soi-