Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

détruits est une des plus singulières illusions de l’histoire ; si des empires moururent de maladie ou de vieillesse, la plupart, au contraire, périrent de mort violente, en pleine force physique, en pleine vigueur intellectuelle.

D’ailleurs l’intelligence est personnelle et on ne peut établir aucun rapport raisonnable entre la puissance d’un peuple et le génie d’un homme : ni la littérature grecque, ni les littératures du moyen âge ne correspondent à des forces politiques stables et puissantes, grecques, italiennes ou françaises ; et c’est justement à l’heure où leur puissance matérielle est devenue nulle que les royaumes Scandinaves se sont ornés de talents originaux. Peut-être même serait-on plus près de la vérité en déclarant que la décadence politique est l’état le plus favorable aux éclosions intellectuelles : c’est quand les Gustave-Adolphe et les Charles XII ne sont plus possibles que naissent les Ibsen et les Bjoernson ; ainsi encore la chute de Napoléon fut comme un signal pour la nature qui se mit à reverdir avec joie et à pousser les jets les plus magnifiques ; Goethe est le contemporain de la ruine de son pays. A ces exemples, afin d’exercer et de satisfaire nos tendances au scepticisme historique, il ne faut pas manquer d’opposer la preuve de ces périodes