Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/132

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encore jamais descendue brusquement jusque dans le peuple ; quand elle parvient là, elle a perdu sa force explosive : il y a loin de la première d’Hernani au jour où l’on vend Victor Hugo en livraisons illustrées. Pourtant, on se figure assez bien une mobilisation du sentimentalisme allemand contre l’humour anglais ou l’ironie française : c’est parce qu’ils ne se connaissent pas que les peuples se haïssent peu : une alliance finit toujours, quand on a bien fraternisé, par des coups de canon.

La haine qui poursuivit Mallarmé ne fut jamais très amère, car les hommes ne haïssent sérieusement, même en littérature, que lorsque des intérêts matériels viennent un peu corser la lutte pour l’idéal ; or il n’offrait aucune surface à l’envie et il supportait comme des nécessités inhérentes au génie l’injustice et l’injure. On ne gouaillait donc, sous un prétexte d’obscurité, que la supériorité seule et toute nue de son esprit. Les artistes, même dépréciés par les instinctives cabales, obtiennent des commandes, gagnent de l’argent ; les poètes ont la ressource des longues écritures dans les revues et dans les journaux : certains, comme Théophile Gautier, y gagnèrent leur vie ; Baudelaire y réussit mal, et Mallarmé plus mal encore. C’est donc au poète