Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/133

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dépouillé de tout ornement social que s’adressa le sarcasme.

Il y a au Louvre, dans une collection ridicule, par hasard une merveille, une Andromède, ivoire de Cellini. C’est une femme effarée, toute sa chair, troublée par l’effroi d’être liée : où fuir ? et c’est la poésie de Stéphane Mallarmé. Emblème qui convient encore, puisque, comme le ciseleur, le poète n’acheva que des coupes, des vases, des coffrets, des statuettes. Il n’est pas colossal, il est parfait. Sa poésie ne représente pas un large trésor humain étalé devant la foule surprise ; elle n’exprime pas des idées communes et fortes, et qui galvanisent facilement l’attention populaire engourdie par le travail ; elle est personnelle, repliée comme ces fleurs qui craignent le soleil ; elle n’a de parfum que le soir ; elle n’ouvre sa pensée qu’à l’intimité d’une pensée cordiale et sûre. Sa pudeur, trop farouche, se couvrit de trop de voiles, c’est vrai ; mais il y a bien de la délicatesse dans ce souci de fuir les yeux et les mains de la popularité. Fuir, où fuir ? Mallarmé se réfugia dans l’obscurité comme dans un cloître ; il mit le mur d’une cellule entre lui et l’entendement d’autrui ; il voulut vivre seul avec son orgueil. Mais c’est là le Mallarmé des dernières années, lorsque, froissé, mais non dé-