Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/232

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pas l’amour, qui est plus fort que la mort, puisqu’il est la vie, mais la fraternité sexuelle. Il y a, depuis l’Amérique, entre l’homme et la femme la peur de l’enfer ; ce que les religions les plus menaçantes n’avaient réussi que temporairement un virus l’a accompli : et les lèvres ont été désunies.

C’est par la syphilis que les historiens qui voudront faire l’histoire de la morale de l’amour la relieront à l’hygiène. Il dut se faire un grand désarroi dans les mœurs :

     Obstupuit gens Europae ritusque sacrorum
     Contagemque alio non usquam tempore visam,

dit Fracastor, qui avait vu avec des yeux de médecin et de poète les premières horreurs du mal nouveau. « Obstupuit gens ; » ce fut une épouvante universelle ; on se crut à la fin de l’amour et à la fin du monde.

Il fallut pour conserver, non pas sa vertu, mais sa santé, renoncer à ce que les moralistes de la science appellent assez justement la promiscuité ; la peur d’un mal physique immédiat et évident opéra entre les deux sexes une disjonction qui a survécu à la période aiguë du mal. La réaction évangélique acheva l’œuvre de la syphilis et les sociétés européennes se trouvèrent