Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/248

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le langage familier ». Toutes les autres règles découlent de celle-là ; bien observée, elle suffit à préserver de « l’écriture » un homme de bon sens et de bonne grâce.

Mais si l’on veut jouir d’une réputation intacte et de l’estime totale il est nécessaire d’arriver du premier coup à la non-écriture. Quelques premiers livres écrits, quelques pages même, déterrées par un ennemi littéraire, pourraient, après des vingt ans de labeur et de succès, compromettre tout d’un coup votre popularité. J’ai vu la vente d’un roman sans aucun style coupée net par un article où un journaliste affirmait : «… livre très beau et d’une « écriture » neuve et hardie… » Rien n’était plus faux, mais ce romancier avait publié dans sa jeunesse un premier livre qui autorisait jusqu’à un certain point de telles plaisanteries. Que votre livre de début soit donc bien franchement un livre sans style ; qu’en ses pages fraîches on cueille aisément, ainsi que dans un pré, toutes les fleurs communes ; que toutes vos descriptions aient cet air de déjà-vu qui ravit le public en lui faisant croire qu’il a lu tous les livres et qu’on ne saurait plus rien inventer. Un roman où tout, jusqu’aux noms des personnages, jusqu’à la nuance des tentures, jusqu’à la forme des fauteuils, où tout, dialo-