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                          CHAPITRE DEUXIÈME
                            VIE DE RELATION


La métaphysique pose des axiomes, l’expérience les vérifie ; si elle n’en a pas le droit, elle le prend.

L’Intelligence absolue pense dans la solitude absolue de l’Infini, et sa pensée œuvre la tapisserie que nous sommes — à l’envers — : hommes, bêtes, plantes, pierres. Elle a son moteur en soi ; elle part d’un point du cercle pour revenir au même point du cercle, et ce simple mouvement, toujours le même, est infiniment fécond.

Pour l’intelligence limitée, les conditions de la pensée sont toutes différentes ; elle a besoin de l’excitation du choc extérieur. Réduite à soi, c’est le prisonnier au secret. Dans ce cas, la pensée se résorbe et, ne vivant plus qu’autosubstantiellement, se dévore elle-même et se résout en la non-pensée[1]. La pensée d’autrui est le

  1. Telle est la signification symbolique de l’histoire d’Hugolin. Prisonnier, séparé de la source de l’activité mentale, il dévore ses enfants, — c’est-à-dire qu’il se dévore lui-même, qu’il dévore ses propres pensées. Pour cela, il est châtié éternellement, car il a voulu nier, par orgueil, les conditions même, de la vie de relation, telles qu’elles nous sont imposées ; il avait obéi aux propres suggestions de ses enfants, de ses pensées, de son égoïsme, et l’égoïsme eut plus de puissance que l’amour, — « et la faim eut plus de puissance que la douleur. Poscia, più che’l dolor pote’l digiuno DANTE, Inf., XXXIII, 75.