Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/28

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la peinture est embue. Les langues se gonflent comme le ciment et s’écaillent ; ou plutôt elles font comme les platanes qui ne vivent qu’en modifiant constamment leur écorce et qui laissent tomber dans la mousse, au premier printemps, les noms d’amour gravés à même leur chair.

Mais qu’importe l’avenir ? Qu’importe l’approbation d’hommes qui n’existeront pas tels que nous les ferions, si nous étions démiurges ? Qu’est-ce que cette gloire dont jouirait un homme à partir du moment où il sort de la conscience ? Il est temps que nous apprenions à vivre dans la minute, à nous accommoder de l’heure qui passe, même mauvaise, à laisser aux enfants ce souci des temps futurs qui est une faiblesse intellectuelle — quoique parfois une naïveté d’homme de génie. Il est bien illogique de vouloir l’immortalité des œuvres lorsqu’on affirme et lorsqu’on désire la mortalité des âmes. Le Virgile de Dante vivait au delà de la vie sa gloire devenue éternelle : de cette conception éblouissante il ne nous reste qu’une petite illusion vaniteuse qu’il est préférable d’éteindre tout à fait.

Cela n’empêche pas qu’il faille écrire pour les hommes comme si on écrivait pour les anges et de réaliser ainsi, selon son métier et selon sa