Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/298

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y a une masse d’hommes plus ignorants, plus orgueilleux et plus timorés que chez n’importe quelle nation continentale. Tout étranger y tomberait comme un Martien et n’y ferait pas régner un moindre désarroi ni une moindre terreur[1]. La conquête linguistique des grandes îles est plus facile encore que leur conquête militaire ; il n’y faut que de la persévérance. L’entêtement s’amollit bientôt, pénétré par le doux esprit de lucre, par les saines idées d’utilité ; l’instinct commercial étouffe l’instinct national. Pour les peuples uniquement trafiquants, comme les insulaires, la langue des dieux est celle qui est pour l’or la meilleure glu.

L’Angleterre, qui a une littérature, n’a pas ou n’a plus de langue littéraire. Tels Anglais qu’on nous apprend à vénérer comme de grands écrivains ignorent jusqu’à l’art élémentaire de la phrase et du rythme ; ils écrivent comme ils parlent, en oubliant une partie des mots, et comme ils pensent, en oubliant une partie des idées. Quand ils croient composer, ils juxtaposent. Ils envoient leurs pensées à la bataille, comme lord

  1. Récemment, la vue d’un navire au pavillon inconnu, qui fuyait le mauvais temps, fit que les habitants d’un village de pêcheurs écossais s’enfuirent épouvantés, croyant à une invasion des Boers ! Que doit donc être le terrien anglais ?