Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/36

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mer des choses ordinaires ou communes d’une manière singulière ou pompeuse. On le plaint d’avoir passé tant de temps à faire de nouvelles combinaisons de syllabes pour ne dire que ce que tout le monde dit ». Delille s’est rendu célèbre par son goût pour la périphrase didactique ; mais je crois qu’il a été mal jugé. Ce n’est pas la peur du mot propre qui lui fait décrire ce qu’il faudrait nommer, c’est la raideur de sa poétique et la médiocrité de son talent ; il n’est imprécis que par impuissance et il n’est très mauvais que quand il est imprécis. Méthode ou impéritie, cela nous a valu d’amusantes énigmes :

 Ces monstres qui de loin semblent un vaste écueil.

  L’animal recouvert de son épaisse croûte,
  Celui dont la coquille est arrondie en voûte.

  L’équivoque habitant de la terre et des ondes.
  Et cet oiseau parleur que sa triste beauté
  Ne dédommage pas de sa stérilité.

  Et l’arbre aux pommes d’or, aux rameaux toujours verts.
  Là pour l’art des Didot Annonay voit paraître
  Les feuilles où ces vers seront tracés peut-être.

  Et ces rameaux vivants, ces plantes populeuses,
  De deux règnes rivaux races miraculeuses.

  Le puissant agaric, qui du sang épanché
  Arrête les ruisseaux, et dont le sein fidèle
  Du caillou pétillant recueille l’étincelle.