Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/67

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qui parlait pour lui. Il avait le travail lent : il y a cinq ou six manuscrits superposés de de l’Ève future, et le premier est tellement différent du dernier que seul le nom d’Edison peut servir à les relier l’un à l’autre. On dit assez souvent d’un homme qui n’a écrit que peu, qu’il a peu travaillé : je suis persuadé que Villiers de l’Ile-Adam n’a jamais cessé un instant de travailler, même pendant son sommeil. Malgré le blocus quelquefois absolu que ses idées établissaient autour de son attention, nul esprit n’était plus rapide ni mieux doué pour la riposte ; il ne connaissait pas le crépuscule du réveil : après la nuit la plus brève, il se retrouvait, au coup même du sursaut, en pleine possession de toute sa lucidité, de toute sa verve. Quoiqu’il fût bien l’homme de sa littérature, on trouverait en lui l’esquisse d’une double personnalité, mais où le conscient et l’inconscient seraient si enchevêtrés l’un dans l’autre qu’il serait difficile d’en faire le départage ; il serait aisé, au contraire, d’écrire deux vies de Mozart, l’une de l’homme social, l’autre de l’homme en état second, toutes les deux parfaitement légitimes.

Baudelaire disait : L’inspiration, c’est de travailler tous les jours. Mais cet aphorisme ne semble pas le résumé de son expérience person-