Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/72

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lu, l’apanage du petit nombre. Réunis en foule, les hommes deviennent particulièrement automatiques, et d’abord leur instinct de se réunir, de faire à un moment donné tous la même chose témoigne bien de la nature de leur intelligence. Comment supposer une conscience et une volonté aux membres de ces cohues qui, aux jours de fête ou de troubles, se pressent tous vers le même point, avec les mêmes gestes et les mêmes cris ? Ce sont des fourmis qui sortent après l’ondée de dessous les brins d’herbe, et voilà tout. L’homme conscient qui se mêle naïvement à la foule, qui agit dans le sens de la foule, perd sa personnalité ; il n’est plus qu’un des suçoirs de la grande pieuvre factice, et presque toutes ses sensations vont mourir vainement dans le cerveau collectif de l’hypothétique animal ; de ce contact, il ne rapportera à peu près rien ; l’homme qui sort de la foule n’a qu’un souvenir, comme le noyé qui émerge, celui d’être tombé dans l’eau.

C’est parmi le petit nombre des élus de la conscience qu’il faut chercher les exemplaires véritablement supérieurs d’une humanité dont ils sont, non les conducteurs, ce qui serait fâcheux et contredirait trop l’instinct, mais les juges. Cependant grave sujet de méditation, ces hommes surélevés n’atteignent toute leur valeur