Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/73

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qu’aux moments où la conscience, devenant subconsciente, ouvre les écluses du cerveau et laisse se précipiter vers le monde les flots rénovés des sensations qu’ils doivent au monde. Ils sont de magnifiques instruments dont le subconscient seul joue avec génie ; lui aussi, le génie, est subconscient. Goethe est le type de ces hommes doubles et le héros suprême de l’humanité intellectuelle.

Il y a d’autres hommes non moins rares, mais moins complets, chez lesquels la volonté ne joue qu’un rôle fort ordinaire et qui ne sont rien dès qu’ils ne sont plus sous l’influence du subconscient. Leur génie n’en est souvent que plus pur et plus énergique ; ils sont des instruments plus dociles sous le souffle du Dieu inconnu. Mais comme Mozart, ils ne savent ce qu’ils font ; ils obéissent à une force irrésistible. Voilà pourquoi Gluck faisait transporter son piano au milieu d’une prairie, en plein soleil ; voilà pourquoi Haydn contemplait une bague, pourquoi Crébillon vivait parmi une meute de chiens, pourquoi Schiller respirait fréquemment l’odeur des pommes pourries dont il avait rempli le tiroir de sa table de travail. Telles sont les moindres fantaisies du subconscient ; il a de pires exigences.