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Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/179

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ceux qui ne font rien que des signes dans l’air :


Je l’ai tué sans le voir, comme un gibier que l’on chasse en rêve,
Ou comme le voyageur qui se hâte vers l’auberge arrache l’importune fougère.


Un sentiment profond de la mort implique un sentiment profond de la vie. Celui qui ne meurt pas une fois par jour ignore la vie ; les cigales sont des crécelles : elles chantent la vie qu’elles nient par leur stupidité ; elles ne savent pas que cette lumière renaîtra sans elles ; « cette journée et les autres jours seront la vie d’autres gens » : il faut sentir cela pour que toute l’amertume des piqûres du soleil se change en baume. L’amour de la vie toute bonne et simple est triste comme le regard d’un chien. Mourir, c’est laisser en proie au hasard des yeux les yeux qui vous parlent. Tête d’or voit mourir Cébès :


D’abord, c’est Mai joli, puis la saison se termine et les hommes tombent comme des pommes.


L’heure est finie. Mais écoutez, à toutes les heures, la chute des pommes : ainsi vous saurez que vous vivez encore. Cébès meurt,


La Mort l’étrangle avec ses douces mains nerveuses,


et il fait un soir d’été.