Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/181

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et maîtriser les mains inermes ; sur un signe, le peuple vaincu rapporte à genoux l’épée.

La fille de l’Empereur s’avance ; elle n’est plus rien ; le peuple lui parle avec une haine de peuple, non profonde, mais jaillie de la joie de voir souffrir une princesse, une beauté héréditaire, une grâce innée :


À présent, va-t’en vivre de glaner et de ce que te donneront les pauvres pour s’amuser de toi,
Quand tu leur raconteras que tu fus reine
Va, épouse un rustre, travaille ! Que le soleil brûle ton visage et roussisse tes mains !


Et on la revoit mendiante, plus tard, secourue par un cavalier qui, pour mourir, rejoint une bataille, et la princesse mange le pain dur tiré d’une fonte :


Ô bouchée noire ! bouchée de pain plus chère que la bouche même !


Nous sommes à ce plus tard, et voici qu’un soldat déserteur survient et dans la mendiante de pain reconnaît la princesse, et comme elle est seule et faible, il se venge sur cette beauté dégradée de sa lâcheté, de sa misère, de sa bassesse. Aventure inexprimablement tragique : il la cloue