Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/212

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D’hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux…

Et maintenant :

Nos yeux veulent voir les grands mirages aveuglants,
Et, las de la vie et de ses landes monotones,
Se perdre aux vallons sans fin des astres ruisselants :
D’étranges forêts et l’orgueil fauve des automnes
Encadrent des lacs pensifs assoupis dans le soir
Aux vagues baisers épars des lentes argémones…

Voilà les deux tempéraments : le hasard de la sensation, les images arrachées brutalement par touffes, herbes et fleurs mêlées, l’ivresse d’une ruche que frappe un rayon de soleil sorti d’entre deux nuages ; d’autre part : la sensation raisonnée, pressurée jusqu’à ce qu’il en sorte une image normale et raisonnable ; des oppositions de mots choisis pour ce qu’ils contiennent de clarté et de vérité ; une imagination logique, sage et calme. Il y a de l’imprudence dans cette expression absurde, mais qui frappe et séduit, les vacheries hystériques ; il y a trop de prudence dans le mot argémone, car on suppose que si nous découvrons, par hasard, que cette plante est un vague pavot épineux, nous accepterons volontiers la somnifère douceur de ses baisers.